Paroles d'éclusiers


Cliquez sur l'illustration pour lire l'entretien
M. Picaud avec un halevase.
Cliquez sur l'illustration
Mme Leroy à l'écluse de la Taillée.
Cliquez sur l'illustration
M. Frédouelle, devant les écluses de Méan.
Cliquez sur l'illustration
M. Radigois à Vair.
Cliquez sur l'illustration
M. Audion en train de faire des analyses.
Cliquez sur l'illustration
M. Picaud dans les marais de Lavau.

Eclusier : régleur d'ouvrages, régulateurs de conflits

Les éclusiers occupent un poste clé dans les marais: ils ont la charge d'entretien des infrastructures dans les parties communes, de surveillance et de conduite des ouvrages qui commandent le niveau des eaux, en premier lieu de l'écluse, verrou hydraulique qui isole le marais de la Loire.

La fonction éclusière, dans sa partie régulation, est des plus lourdes et délicates: elle est de tous les temps, de toutes les heures, de jour comme de nuit suivant les marées en été, le progrès des crues à l'hiver. C'est ainsi que l'éclusier et sa famille logent dans la maison éclusière appartenant au syndicat et qui jouxte l'ouvrage le plus important. Simple " agent d'exécution " dont l'emploi du temps est occupé par les longues heures de la corvée du curage, l'éclusier est en réalité très exposé à subir l'effet de toutes les contradictions d'intérêts qui animent les propriétaires de marais.
Il subira par exemple les pressions des exploitants du " fond ", c'est à dire des terrains bas, n'ayant pas bénéficié de l'apport alluvionnaire, qui s'opposent à l'envoi de marées réclamé par les propriétaires des terrains du devant et situés plus haut, plus sec par conséquent. Ailleurs, dans un autre marais, il aura à répondre, chacun à leur tour, aux représentants d'activités concurrentes. L'été surtout les débats sont houleux, entre agriculteurs qui veulent des niveaux bas pour la récolte des foins, et les chasseurs qui réclament de l'eau au marais pour attirer le gibier. Suivre une voie médiane entre ces intérêts contradictoires, c'est bien souvent ne satisfaire personne, même pas le groupe des pêcheurs à qui il ne faut ni trop, ni trop peu d'eau, du moment qu'elle ne soit pas salée. Or l'été, dans l'estuaire, dans sa partie aval en particulier, ou l'on " tient " les niveaux, ou l'on tient les taux de salinité ; il est difficile de tenir les deux à la fois.
En dépit des niveaux, qui ont été votés, des taux, qui sont réglementés, en dépit des règlements qui fixent précisément la manœuvre des portes, et dont la mise au point a fait l'objet d'une enquête publique devant aboutir au compromis entre intérêts divergents, les éclusiers doivent interpréter la lettre, apporter une certaine souplesse dans la gestion, suivant par exemple que l'année aura été sèche ou pluvieuse au contraire.

C'est bien entendu à la direction du syndicat de faire ces arbitrages, seulement, les propriétaires ont pu juger qu'il était plus efficace d'agir directement sur l'éclusier qui opère la manœuvre : l'effet est immédiat, et, moyennant " coup de gueule " ou pression amicale sur l'employé du syndicat, on s'économise de longues négociations, des rapports de force et des conflits ouverts à l'intérieur du groupe des propriétaires.
La tâche de l'éclusier est donc particulièrement délicate: en manœuvrant les portes et ouvrages hydrauliques, il a la charge de réguler les conflits latents au sein du syndicat des propriétaires, tous associés, certes, par un intérêt commun, mais aussi tous " particuliers ", suivant la topographie de leur exploitation... et de la manière de la conduire.


Du témoignage des " anciens " et des " modernes "

On distinguera la parole des " anciens " ayant passé parfois plus de trente ans au service du marais, et celle des " modernes ", qui sont aujourd'hui en fonction, mais souvent depuis de nombreuses années déjà. Les "anciens" et les "modernes", ces deux termes accolés évoquent habituellement la querelle des générations. Gageons cependant qu'entre les témoins réunis ici, les uns des marais du sud, les autres de ceux du nord, ceux de l'aval ou de l'amont, de querelle il n'y aura pas. Car ce que les anciens regrettent à l'occasion, ce sont les effets de la déprise agricole, mais certainement pas la modernisation des équipements. Quant aux "modernes", on ne dira pas qu'ils sacrifient à la mode informatique. Ils savent quelles ruptures l'estuaire et ses marais ont connues ces dernières années : de nouvelles contraintes hydrologiques, de nouveaux intérêts économiques, de nouveaux usages sociaux ont imposés une gestion des marais au millimètre et au milligramme des " niveaux " et des " taux ". Les "anciens" rappellent, du coude et du poignet, les gestes de la longue corvée du faucardage et du curage ; les " modernes " nous lisent des courbes et des tracés, des consoles et des horloges : les uns en rhumatisme, les autres en insomnie, en "stress", tous nous disent la charge d'un très étroit contrôle social sur les marais. Ils en admettent aussi la nécessité.


Nous vous invitons à cliquer sur les portraits pour avoir accès aux témoignages correspondants. Les cinq premiers témoignages ont été réalisés par Estuarium en 1997 dans le cadre de l'exposition "Portes d'èbe et portes de flot. Éclusiers et marais en estuaire de la Loire". Celui de monsieur Picaud dans les marais de Lavau est un extrait d'entretien réalisé en 2005 par Estuarium dans le cadre de l'étude sur les "petits ports" de l'estuaire de la Loire.

Bonne lecture !