Mme
Leroy à l'écluse de la Taillée où elle
était en poste avec son mari, pour le syndicat des marais
de Donges. En compagnie de Mme Sarday, une amie
Mme
LEROY : Il n'y avait rien de tout ça hein, ah non, il n'y
avait pas d'arbre. L'autre jour, Yvette m'a dit, qu'au pré
de la Taillée, il y a des arbres. Oh, je dis, tu as mal vu.
Ben si, oh, je n'en reviens pas. (...) Et le jardin, quand on voit
ça ! C'était si bien entretenu, ça fait mal
au cur. On a été 25 ans là oui (...)
ça, on appelait ça le magasin. (...)
En ce moment là, fallait tourner la manivelle, il fallait
faire 25 tours pour une dent! Ah oui, parce que je l'ai tournée
assez hein. Jour et nuit, quand il fallait envoyer l'eau, même
la nuit, et oui, il fallait se lever la nuit. Et puis, quand il
y avait trop d'eau sur les marais, que ça mouillait à
plein, et bien il fallait écouler. Alors il fallait ouvrir
les portes, pour que l'eau parte du marais. (...)
C'était dur hein, et puis euh... on était pas payé
hein (rires). (...) Les premières années je crois
bien que ça lui payait son paquet de cigarettes, parce qu'il
fumait en ce moment là.
Mme
LERAY : C'est sûr, mais c'était quand même un
travail, et il fallait être là.
Mme
LEROY : Ah ben oui, il avait fait la pêche et puis après,
ben il est parti, il à travaillé avec Georges D. Oh
oui, oh ben oui, c'était pas, il travaillait à Gétigné,
ils ont été un temps, ils partaient une semaine.
M.
TRIVIERE (ESTUARIUM) : Pendant ce temps là, c'est vous qui
le faisiez ?
Mme
LEROY : Oui, c'était moi qui le faisait, mais ça serait
maintenant je ne le ferai pas, surtout quand il fallait se lever
la nuit hein, j'étais toute seule !
M.
TRIVIERE (ESTUARIUM) : Vous surveilliez les heures de marées
?
Mme
LEROY : oui, je savais qu'à telle heure à peu près,
il y avait 4 heures de décalage, oui, quand l'eau commençait
à monter, et bien je levais la vanne quand il fallait envoyer
de l'eau, et puis après quand on voyait, quand ça
baissait, on voyait qu'il n'y avait plus de courant, je réduisais
la vanne pour que l'eau ne reparte pas. Et puis c'était toujours
comme ça. (...)
M.
TRIVIERE (ESTUARIUM) : Vous aviez un niveau ?
Mme
LEROY : Ben c'est à dire que, Marcel, lui, il se repérait
parce qu'il faisait, des fois on mettait un caillou pour voir, pour
pas que l'eau était, l'eau était trop haute, oui,
un repère, et alors, pour pas que l'eau était trop
haute, parce qu'il y avait des gens qui auraient rouspété
quoi. (...)
On pêchait là, quand c'était la, le moment des
civelles ! des civelles euh... nous c'était notre place ça,
là c'était la place de l'éclusier, les civelles
quand l'eau montait, ben euh, la nuit. Les civelles, et puis autrement
on pêchait les pimpeneaux aussi, au mois de novembre, c'est
comme des anguilles, alors on les pêchait là, et qui
venaient du marais. (...) Et là on pêchait les pimpeneaux,
on mettait des engins dans les, dans les vannes là pour pêcher.
Ben c'était des engins qu'il faisait...
M.
TRIVIERE (ESTUARIUM) : y avait-il du monde aux civelles ?
Mme
LEROY : Oh ben oui, oh ben là des fois il y avait bien 50
personnes de ce côté là, oh ben oui, oh ben
oui, c'était une vrai fourmi, oh oui. Mais les pimpeneaux
là, là c'était réservé pour l'éclusier.
Ah enfin, pêche au carrelet si quelqu'un voulait, mais autrement
là non, non, c'était ça, il pêchait ça.
M. Radigois, ancien éclusier
du Syndicat des marais de Saint-Etienne et de Couëron. A l'écluse
de Vair
M.
RADIGOIS : Les gens ils étaient fous de faire baigner les
prés un moment, mais.. ils se calment depuis un moment, parce
que, si on fait rentrer trop d'eau salée et qu'il fait du
soleil, ça brûle l'herbe, ça brûle. ...
Surtout les endroits où il reste de l'eau. Dans les.. on
appelle ça des casses nous.. enfin où que l'eau se
meurtrit quoi, qu'elle reste à stagner là, qu'il reste
de l'eau à mourir là. L'eau, elle reste là
et puis ça dénude complètement l'herbe. Parce
que le sel il reste au fond, de ces cuvettes là, et puis
ça brûle complètement. (...) Un moment c'était
la bataille, tout le monde voulait de l'eau, voulait de l'eau, partout,
mais oh, ça se calme. (...)
Ah ben j'ai jamais eu à me plaindre de mes patrons. ils m'ont
jamais rien dit, rien du tout, et d'ailleurs mon travail, ils m'ont
jamais commandé où aller travailler, je suivais mon
travail régulièrement, je savais ce que j'avais à
faire, j'allais à droite, j'allais à gauche, si je
voyais qu'il y avait un endroit qui pressait plus que d'autres,
j'allais où ça pressait le plus. Là j'ai jamais,
j'ai jamais eu à me plaindre du patron, mais j'ai toujours
fait mon boulot. (...)
M.
TRIVIERE (ESTUARIUM) : Même dans la période d'irrigation
?
M.
RADIGOIS : Ah dame là! C'était pas tellement avec
les patrons, c'était avec les propriétaires de prés
(rires). " Moi j'ai de l'eau, moi j'en ai pas, moi j'ai en
ai de trop, moi j'en ai pas assez ". Alors là c'était
une période euh
pas toujours facile. (...)
Au moment de faire baigner les prés, principalement, il y
avait une réunion de syndicat et puis y avait une publication
le dimanche matin. Les gens qui voulaient faire baigner, ben ils
savaient ce qu'ils avaient à faire.. Mais y en a la moitié
qui n'allait pas préparer leur terrain, parce qu'il fallait
faire des rigoles pour faire baigner les prés. Ben non, les
gens ils s'amenaient après la marée, " ben oui,
ben j'ai pas eu d'eau ! T'as préparé pour en avoir
? " (rires) Pas possible! Leurs prés n'étaient
pas débouchés, rien du tout euh.. C'est pas moi qui
va déboucher les prés à tout le monde hein,
et puis les reboucher à ceux qu'en veulent pas! (rires) (...)
Il fallait faire vite! Ah ben dame, ça ne dure pas longtemps
hein, quand la marée est finie hein, il faut refermer avant
qu'elle reparte hein. Et puis il faut ouvrir pour avoir dès
la pointe d'eau. Fallait faire vite! La pointe d'eau c'est quand
elle commence à monter quoi. Et puis fallait être là
pour le niveau le plus haut, au niveau le plus haut il fallait être
là pour refermer les écluses, pour qu'elle ne repartait
pas quoi. Alors quand il fallait refermer ici et puis aller refermer
là bas, j'étais pas sur le bord de.. fallait que j'aille
à pied là bas, sur le bord de l'étier de Vair.
Il y a pas de route là bas, pas de route pour aller là
bas. Alors ici c'était un quart d'heure plus tard que là
bas, à peu près. (...) Ah! fallait pas s'amuser à
boire un coup sur le bord de la route (rires). Voilà. (...)
Près
des portes de l'écluse. À propos d'un jeu d'engrenage.
M.
RADIGOIS : Il a été cassé quand j'étais
ici, ça n'a jamais été réparé
depuis. Il a été cassé par vandalisme. Ici
y avait un petit pignon qui prenait dans l'autre, qu'était
monté sur une rotule ici. Y avait un pignon ici avec un autre
pignon, et puis avec la manivelle on faisait tourner. (...)
M.
TRIVIERE (ESTUARIUM) : Elle ne s'ouvre pas ?
M.
RADIGOIS : Si si elle s'ouvre quand même, mais il faut tirer
dessus avec une chaîne, comme on a fait là bas.
M.
TRIVIERE (ESTUARIUM) : On ne peut pas la fermer ?
M.
RADIGOIS : Si, ben, on va pas la fermer maintenant parce que, mais
autrement, autrement on la pousse ici, et puis quand la marée,
quand elle monte, on la ferme à la main comme ça.
On peut pas la faire manuvrer parce qu'il y a plus de manivelle
pour.
(...) Oui, ben c'est la pression d'eau qui pousse justement. Il
n'y a pas à s'en occuper quand la marée monte. Automatiquement
le courant il va de l'autre côté et puis il pousse
la porte. Elle se ferme toute seule, en montant et en descendant
quoi. (...) Quand la marée va monter, celle-ci automatiquement
elle va se refermer, elle va prendre, le courant va prendre dedans,
ça se referme automatiquement. C'est l'avantage, parce que
les portes à crémaillère, il faut être
là pour tourner la manivelle, tandis que là, ça
se ferme automatiquement.
M.
Picaud, ancien éclusier du Syndicat de l'Etier du Syl. Démonstration
de curage et de faucardage dans les marais de Lavau
M.
PICAUD : Ça c'est une maraîchine, ouais, les vendéens
avaient beaucoup ça. (....) Je suis sûr que personne
ne se sert plus de ça maintenant. (...) C'était utilisé
quand on faisait une douve à la main, une douve neuve.
M.
TRIVIERE (ESTUARIUM) : Vous pouviez faire une douve neuve ?
M.
PICAUD : Ah oui, oui. Oh ben, toutes les douves qu'il y a dans le
marais là... elles ont été faites du temps
de mon, d'un de mes arrières grands-pères hein ! Elles
ont été faites en... sous Napoléon 1er, en
1804. Parce que le grand-père ici, avait été
nommé, il avait pas été élu, il avait
été nommé maire par Napoléon. Oui, il
était receveur des contributions indirectes à Savenay.
(...)
M.
TRIVIERE (ESTUARIUM) : Vous recreusiez les douves, mais vous n'en
faisiez pas de nouvelles?
M.
PICAUD : Ah ben si, on en a fait des nouvelles quelquefois. Ah,
quelques fois si ! sur les îles là notamment, l'île
Pipy, partout.
M.
TRIVIERE (ESTUARIUM) : Qui en décidait ?
M
PICAUD : Quand c'était sur le terrain du propriétaire,
c'était le propriétaire qui décidait. Comme
les abreuvoirs, les abreuvoirs pour faire boire les bêtes
là sur les îles, maintenant ça se fait à
la pelle mécanique, mais moi j'ai été en faire
à la main.
M.
TRIVIERE (ESTUARIUM) : C'était un long travail...
M.
PICAUD : Oh oui, et puis c'était dur ! Cette terre là,
y a pas de pierre, y a pas de cailloux là dedans, c'est des
sédiments, alors ça se bêchait bien, à
condition qu'on la prenait juste bien... Parce que quand cette terre
là (...) elle est mouillée, c'est du mastic, ni plus
ni moins qu'un mastic. Et puis quand elle est dure, et ben c'est
une pierre hein, presque. (...)
Autrement il y a le croc, mais je l'ai plus, il m'a été
volé, il m'a été piqué. Oui, je l'avais
laissé dans le marais, pendu à un arbre. Alors voyez,
c'est une fourche à neuf doigts qu'est faite comme le truc
là, que la douille est pliée, et pour tirer les herbes
quoi. Bon, je vais vous faire voir comment que ça se passe,
je vais faire une démonstration, venez. (...)
La dernière fois ça a été fait à
la pelle mécanique, creusé. Creusé. (...) La
pelle mécanique ça en tire quand même, par rapport
à ce que j'ai sur le dos là. Vous vous rendez compte
de la différence, c'est évident. Mais seulement, le
problème c'est que c'est pas toujours facile à passer,
parce que c'est des terrains qu'ont pas de fond.
Je vais vous faire voir. Alors vous voyez, sur les bords comme ça,
comment qu'on faisait, on taillait ça comme ça. On
taillait des beaux bords, voyez.
Et puis autrement, avec ça, vous allez vous reculer un peu
parce que.. pour retirer la vase, restez pas auprès. Voilà,
y a un geste à faire. Là j'en retire pas beaucoup
parce qu'il n'y en a pas, ça a été fait à
la pelle y a pas longtemps. Et puis y en plus puisqu'ils n'envoient
plus de marées. (...)
J'ai vu moi que c'était plein jusqu'à la hauteur de
l'eau hein ! de vase. On faisait un cordon, derrière nous,
qu'était haut comme ça. Tous ces cordons que vous
voyez là, on appelle ça des cordons, oui ben ça
a été retiré avec ça hein! tout ça.
(...)
Mais moi j'ai surtout travaillé dans l'étier, dans
le canal. J'ai travaillé pendant 45 ans dans le canal. J'ai
commencé en... en 1940, alors qu'il n'y avait plus personne,
j'étais pas vieux, puisque je suis né en 26. (...)
C'était un vieux bonhomme de 80 ans, qu'était avec
moi, qui m'avait fait voir, parce que, y avait personne, tous les
gars étaient prisonniers. (...)
L'étier a été bouché complètement
dans les années euh... de la guerre. Jusqu'à cette
époque là le, il y avait beaucoup plus de dépôt
de vase qu'il y en a maintenant. Quand les îles se sont formées
hein. Tandis que maintenant, ben, la vase ne sait plus où
aller parce que... ça, ça va être un problème
dans les années à venir. Parce que bon, ils continuent
de, la drague qu'ils ont pour draguer le chenal de Nantes à
Saint-Nazaire et surtout à Donges là, eh ben, elle
ne la retire pas la vase. Ils la mettent en suspension, elle est
mise en suspension et puis, ils profitent des courants et puis ça
va se déposer où ça peut quoi. Où ça
peut. Où ça trouve une place. Alors si bien que du
côté de Pornichet dans quelques années vous
verrez. Moi je ne verrai peut-être pas mais vous verrez. Puisque
y a plus de place ici, tout est, tout est comblé. Il n'y
a que les très grandes marées que ça passe
par-dessus. Y a, y a 15 jours elle est passée par-dessus
la marée. Ah oui, y en a eu une très grande. Et puis
là dans 15 autres jours il y en a une grande là aussi.
M.
TRIVIERE (ESTUARIUM) : Passer par dessus, c'est à dire ?
M.
PICAUD : Ben les îles quoi, tout, tout ce qu'était
l'ancienne Loire autrefois, qu'est devenu l'île Pipy, etc...
(...) Autrefois on faisait baigner les prés l'été.
Ben à partir de maintenant là, au mois de juillet,
après les foins, une fois les foins enlevés. On mettait
des barrages et puis on menait l'eau jusqu'au barrage. C'était
des madriers qu'on descendait, dans les coches et puis... ben personne
n'en met plus. Personne ne veut plus de cette eau là.
(...) On envoyait la marée entière, alors bon, quand
le barrage était mis, ça gonflait quand même,
au lieu de courir à aller au fond, autrement, ben comme c'est
plus bas là bas, à aller jusqu'au Brossais, partout
où l'on est allé là, eh ben l'eau était
arrêtée, alors ça gonflait, ça gonflait
au moins de cette hauteur là, presqu'un mètre de plus.
(...) Dans le fond y avait pas besoin, dans le fond ça allait
tout seul (...) y avait pas besoin de barrage puisque c'était
plus bas. (...) Comme ça, ça contentait tout le monde.
Mais c'était des problèmes, y en a un qu'en voulait,
l'autre qu'en voulait pas. (...) Ah, il y en avait des discussions
à ce sujet là bien souvent! Ah tu veux de l'eau, moi
j'en veux pas ! Et puis bon, mon foin est pas fini, le tien est
fini...
(...) L'hiver à cette époque là, il fallait
pas écouler. Si, on écoulait, mais fallait que l'écluse
reste ouverte. Avant les années 40, l'écluse, tout
l'hiver restait ouverte. Alors ça faisait ça, ça
allait, ça venait, comme ça voulait. Pour hausser
les prés. Oui, pour que ça faisait un dépôt.
Et tous les prés qui sont en bordure, ils sont bien meilleurs
que les autres hein, et c'est venu de là. Parce que ça
faisait un dépôt de limon, comme ça a haussé
ici quoi. (...) Et puis alors ça vasait tellement qu'on avait
été obligé d'arrêter ça, parce
que, ben l'étier, au pont qui tourne, la vase était
à hauteur des prés, tellement il y en avait (...)
Vous vous rendez compte, une épaisseur comme ça, il
y avait deux mètres de vase (...) Ben nous, on l'a poussée
avec la drague. On a été à être obligé
de passer des herses là dedans. On avait fait faire une herse
qu'avait des dents longues comme ça, avec des fers en U.
Et puis, avec des chevaux à tirer sur le bord ! Et puis le
courant, ça mettait, ça mettait la vase en suspension,
et..., bon elle partait quoi. Et puis ça nous faisait un
passage pour pouvoir passer le bateau après. Mais le bateau,
c'était toujours pareil parce que, y avait pas assez de chute
quoi, y avait, pour que ça marche bien là faut qu'y
a un mètre de chute, parce qu'avec un mètre de différence,
ça balaye quoi.