Exposition Portes d'èbe et portes de flot :
Mémoires d'éclusiers

 
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Mme Leroy à l'écluse de la Taillée où elle était en poste avec son mari, pour le syndicat des marais de Donges. En compagnie de Mme Sarday, une amie. Cliché F.-X. Trivière.

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L'écluse de la Taillée. Syndicat des marais de Donges. Cliché F.-X. Trivière.

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Mme Leroy à l'écluse de la Taillée où elle était en poste avec son mari, pour le syndicat des marais de Donges. En compagnie de Mme Sarday, une amie. Cliché F.-X. Trivière.

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M. Radigois, devant les ruines de la maison éclusière de Vair, dans les marais de Saint-Étienne et de Couëron. Cliché F.-X. Trivière.

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L'écluse de Vair, dans les marais de Saint-Étienne/Couëron. Cliché F.-X. Trivière.

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M. Radigois actionnant manuellement une porte à l'écluse de Vair. Cliché F.-X. Trivière.

 

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M. Picaud, ancien éclusier du Syndicat de l'Etier du Syl. Démonstration de curage et de faucardage dans les marais de Lavau. Cliché F.-X. Trivière.

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M. Picaud, ancien éclusier du Syndicat de l'Etier du Syl. Démonstration de curage et de faucardage dans les marais de Lavau. Cliché F.-X. Trivière.

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M. Picaud, ancien éclusier du Syndicat de l'Etier du Syl. Démonstration de curage et de faucardage dans les marais de Lavau. Cliché F.-X. Trivière.

 

 
 
 

Les "Anciens" : la gestion à l'œil et l'outil à la main

Mme Leroy à l'écluse de la Taillée où elle était en poste avec son mari, pour le syndicat des marais de Donges. En compagnie de Mme Sarday, une amie

Mme LEROY : Il n'y avait rien de tout ça hein, ah non, il n'y avait pas d'arbre. L'autre jour, Yvette m'a dit, qu'au pré de la Taillée, il y a des arbres. Oh, je dis, tu as mal vu. Ben si, oh, je n'en reviens pas. (...) Et le jardin, quand on voit ça ! C'était si bien entretenu, ça fait mal au cœur. On a été 25 ans là oui (...) ça, on appelait ça le magasin. (...)
En ce moment là, fallait tourner la manivelle, il fallait faire 25 tours pour une dent! Ah oui, parce que je l'ai tournée assez hein. Jour et nuit, quand il fallait envoyer l'eau, même la nuit, et oui, il fallait se lever la nuit. Et puis, quand il y avait trop d'eau sur les marais, que ça mouillait à plein, et bien il fallait écouler. Alors il fallait ouvrir les portes, pour que l'eau parte du marais. (...)
C'était dur hein, et puis euh... on était pas payé hein (rires). (...) Les premières années je crois bien que ça lui payait son paquet de cigarettes, parce qu'il fumait en ce moment là.

Mme LERAY : C'est sûr, mais c'était quand même un travail, et il fallait être là.

Mme LEROY : Ah ben oui, il avait fait la pêche et puis après, ben il est parti, il à travaillé avec Georges D. Oh oui, oh ben oui, c'était pas, il travaillait à Gétigné, ils ont été un temps, ils partaient une semaine.

M. TRIVIERE (ESTUARIUM) : Pendant ce temps là, c'est vous qui le faisiez ?

Mme LEROY : Oui, c'était moi qui le faisait, mais ça serait maintenant je ne le ferai pas, surtout quand il fallait se lever la nuit hein, j'étais toute seule !

M. TRIVIERE (ESTUARIUM) : Vous surveilliez les heures de marées ?

Mme LEROY : oui, je savais qu'à telle heure à peu près, il y avait 4 heures de décalage, oui, quand l'eau commençait à monter, et bien je levais la vanne quand il fallait envoyer de l'eau, et puis après quand on voyait, quand ça baissait, on voyait qu'il n'y avait plus de courant, je réduisais la vanne pour que l'eau ne reparte pas. Et puis c'était toujours comme ça. (...)

M. TRIVIERE (ESTUARIUM) : Vous aviez un niveau ?

Mme LEROY : Ben c'est à dire que, Marcel, lui, il se repérait parce qu'il faisait, des fois on mettait un caillou pour voir, pour pas que l'eau était, l'eau était trop haute, oui, un repère, et alors, pour pas que l'eau était trop haute, parce qu'il y avait des gens qui auraient rouspété quoi. (...)
On pêchait là, quand c'était la, le moment des civelles ! des civelles euh... nous c'était notre place ça, là c'était la place de l'éclusier, les civelles quand l'eau montait, ben euh, la nuit. Les civelles, et puis autrement on pêchait les pimpeneaux aussi, au mois de novembre, c'est comme des anguilles, alors on les pêchait là, et qui venaient du marais. (...) Et là on pêchait les pimpeneaux, on mettait des engins dans les, dans les vannes là pour pêcher. Ben c'était des engins qu'il faisait...

M. TRIVIERE (ESTUARIUM) : y avait-il du monde aux civelles ?

Mme LEROY : Oh ben oui, oh ben là des fois il y avait bien 50 personnes de ce côté là, oh ben oui, oh ben oui, c'était une vrai fourmi, oh oui. Mais les pimpeneaux là, là c'était réservé pour l'éclusier. Ah enfin, pêche au carrelet si quelqu'un voulait, mais autrement là non, non, c'était ça, il pêchait ça.


M. Radigois, ancien éclusier du Syndicat des marais de Saint-Etienne et de Couëron. A l'écluse de Vair

M. RADIGOIS : Les gens ils étaient fous de faire baigner les prés un moment, mais.. ils se calment depuis un moment, parce que, si on fait rentrer trop d'eau salée et qu'il fait du soleil, ça brûle l'herbe, ça brûle. ... Surtout les endroits où il reste de l'eau. Dans les.. on appelle ça des casses nous.. enfin où que l'eau se meurtrit quoi, qu'elle reste à stagner là, qu'il reste de l'eau à mourir là. L'eau, elle reste là et puis ça dénude complètement l'herbe. Parce que le sel il reste au fond, de ces cuvettes là, et puis ça brûle complètement. (...) Un moment c'était la bataille, tout le monde voulait de l'eau, voulait de l'eau, partout, mais oh, ça se calme. (...)
Ah ben j'ai jamais eu à me plaindre de mes patrons. ils m'ont jamais rien dit, rien du tout, et d'ailleurs mon travail, ils m'ont jamais commandé où aller travailler, je suivais mon travail régulièrement, je savais ce que j'avais à faire, j'allais à droite, j'allais à gauche, si je voyais qu'il y avait un endroit qui pressait plus que d'autres, j'allais où ça pressait le plus. Là j'ai jamais, j'ai jamais eu à me plaindre du patron, mais j'ai toujours fait mon boulot. (...)

M. TRIVIERE (ESTUARIUM) : Même dans la période d'irrigation ?

M. RADIGOIS : Ah dame là! C'était pas tellement avec les patrons, c'était avec les propriétaires de prés (rires). " Moi j'ai de l'eau, moi j'en ai pas, moi j'ai en ai de trop, moi j'en ai pas assez ". Alors là c'était une période euh… pas toujours facile. (...)
Au moment de faire baigner les prés, principalement, il y avait une réunion de syndicat et puis y avait une publication le dimanche matin. Les gens qui voulaient faire baigner, ben ils savaient ce qu'ils avaient à faire.. Mais y en a la moitié qui n'allait pas préparer leur terrain, parce qu'il fallait faire des rigoles pour faire baigner les prés. Ben non, les gens ils s'amenaient après la marée, " ben oui, ben j'ai pas eu d'eau ! T'as préparé pour en avoir ? " (rires) Pas possible! Leurs prés n'étaient pas débouchés, rien du tout euh.. C'est pas moi qui va déboucher les prés à tout le monde hein, et puis les reboucher à ceux qu'en veulent pas! (rires) (...)
Il fallait faire vite! Ah ben dame, ça ne dure pas longtemps hein, quand la marée est finie hein, il faut refermer avant qu'elle reparte hein. Et puis il faut ouvrir pour avoir dès la pointe d'eau. Fallait faire vite! La pointe d'eau c'est quand elle commence à monter quoi. Et puis fallait être là pour le niveau le plus haut, au niveau le plus haut il fallait être là pour refermer les écluses, pour qu'elle ne repartait pas quoi. Alors quand il fallait refermer ici et puis aller refermer là bas, j'étais pas sur le bord de.. fallait que j'aille à pied là bas, sur le bord de l'étier de Vair. Il y a pas de route là bas, pas de route pour aller là bas. Alors ici c'était un quart d'heure plus tard que là bas, à peu près. (...) Ah! fallait pas s'amuser à boire un coup sur le bord de la route (rires). Voilà. (...)

Près des portes de l'écluse. À propos d'un jeu d'engrenage.

M. RADIGOIS : Il a été cassé quand j'étais ici, ça n'a jamais été réparé depuis. Il a été cassé par vandalisme. Ici y avait un petit pignon qui prenait dans l'autre, qu'était monté sur une rotule ici. Y avait un pignon ici avec un autre pignon, et puis avec la manivelle on faisait tourner. (...)

M. TRIVIERE (ESTUARIUM) : Elle ne s'ouvre pas ?

M. RADIGOIS : Si si elle s'ouvre quand même, mais il faut tirer dessus avec une chaîne, comme on a fait là bas.

M. TRIVIERE (ESTUARIUM) : On ne peut pas la fermer ?

M. RADIGOIS : Si, ben, on va pas la fermer maintenant parce que, mais autrement, autrement on la pousse ici, et puis quand la marée, quand elle monte, on la ferme à la main comme ça. On peut pas la faire manœuvrer parce qu'il y a plus de manivelle pour.
(...) Oui, ben c'est la pression d'eau qui pousse justement. Il n'y a pas à s'en occuper quand la marée monte. Automatiquement le courant il va de l'autre côté et puis il pousse la porte. Elle se ferme toute seule, en montant et en descendant quoi. (...) Quand la marée va monter, celle-ci automatiquement elle va se refermer, elle va prendre, le courant va prendre dedans, ça se referme automatiquement. C'est l'avantage, parce que les portes à crémaillère, il faut être là pour tourner la manivelle, tandis que là, ça se ferme automatiquement
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M. Picaud, ancien éclusier du Syndicat de l'Etier du Syl. Démonstration de curage et de faucardage dans les marais de Lavau

M. PICAUD : Ça c'est une maraîchine, ouais, les vendéens avaient beaucoup ça. (....) Je suis sûr que personne ne se sert plus de ça maintenant. (...) C'était utilisé quand on faisait une douve à la main, une douve neuve.

M. TRIVIERE (ESTUARIUM) : Vous pouviez faire une douve neuve ?

M. PICAUD : Ah oui, oui. Oh ben, toutes les douves qu'il y a dans le marais là... elles ont été faites du temps de mon, d'un de mes arrières grands-pères hein ! Elles ont été faites en... sous Napoléon 1er, en 1804. Parce que le grand-père ici, avait été nommé, il avait pas été élu, il avait été nommé maire par Napoléon. Oui, il était receveur des contributions indirectes à Savenay. (...)

M. TRIVIERE (ESTUARIUM) : Vous recreusiez les douves, mais vous n'en faisiez pas de nouvelles?

M. PICAUD : Ah ben si, on en a fait des nouvelles quelquefois. Ah, quelques fois si ! sur les îles là notamment, l'île Pipy, partout.

M. TRIVIERE (ESTUARIUM) : Qui en décidait ?

M PICAUD : Quand c'était sur le terrain du propriétaire, c'était le propriétaire qui décidait. Comme les abreuvoirs, les abreuvoirs pour faire boire les bêtes là sur les îles, maintenant ça se fait à la pelle mécanique, mais moi j'ai été en faire à la main.

M. TRIVIERE (ESTUARIUM) : C'était un long travail...

M. PICAUD : Oh oui, et puis c'était dur ! Cette terre là, y a pas de pierre, y a pas de cailloux là dedans, c'est des sédiments, alors ça se bêchait bien, à condition qu'on la prenait juste bien... Parce que quand cette terre là (...) elle est mouillée, c'est du mastic, ni plus ni moins qu'un mastic. Et puis quand elle est dure, et ben c'est une pierre hein, presque. (...)
Autrement il y a le croc, mais je l'ai plus, il m'a été volé, il m'a été piqué. Oui, je l'avais laissé dans le marais, pendu à un arbre. Alors voyez, c'est une fourche à neuf doigts qu'est faite comme le truc là, que la douille est pliée, et pour tirer les herbes quoi. Bon, je vais vous faire voir comment que ça se passe, je vais faire une démonstration, venez. (...)
La dernière fois ça a été fait à la pelle mécanique, creusé. Creusé. (...) La pelle mécanique ça en tire quand même, par rapport à ce que j'ai sur le dos là. Vous vous rendez compte de la différence, c'est évident. Mais seulement, le problème c'est que c'est pas toujours facile à passer, parce que c'est des terrains qu'ont pas de fond.
Je vais vous faire voir. Alors vous voyez, sur les bords comme ça, comment qu'on faisait, on taillait ça comme ça. On taillait des beaux bords, voyez.
Et puis autrement, avec ça, vous allez vous reculer un peu parce que.. pour retirer la vase, restez pas auprès. Voilà, y a un geste à faire. Là j'en retire pas beaucoup parce qu'il n'y en a pas, ça a été fait à la pelle y a pas longtemps. Et puis y en plus puisqu'ils n'envoient plus de marées. (...)
J'ai vu moi que c'était plein jusqu'à la hauteur de l'eau hein ! de vase. On faisait un cordon, derrière nous, qu'était haut comme ça. Tous ces cordons que vous voyez là, on appelle ça des cordons, oui ben ça a été retiré avec ça hein! tout ça. (...)
Mais moi j'ai surtout travaillé dans l'étier, dans le canal. J'ai travaillé pendant 45 ans dans le canal. J'ai commencé en... en 1940, alors qu'il n'y avait plus personne, j'étais pas vieux, puisque je suis né en 26. (...) C'était un vieux bonhomme de 80 ans, qu'était avec moi, qui m'avait fait voir, parce que, y avait personne, tous les gars étaient prisonniers. (...)
L'étier a été bouché complètement dans les années euh... de la guerre. Jusqu'à cette époque là le, il y avait beaucoup plus de dépôt de vase qu'il y en a maintenant. Quand les îles se sont formées hein. Tandis que maintenant, ben, la vase ne sait plus où aller parce que... ça, ça va être un problème dans les années à venir. Parce que bon, ils continuent de, la drague qu'ils ont pour draguer le chenal de Nantes à Saint-Nazaire et surtout à Donges là, eh ben, elle ne la retire pas la vase. Ils la mettent en suspension, elle est mise en suspension et puis, ils profitent des courants et puis ça va se déposer où ça peut quoi. Où ça peut. Où ça trouve une place. Alors si bien que du côté de Pornichet dans quelques années vous verrez. Moi je ne verrai peut-être pas mais vous verrez. Puisque y a plus de place ici, tout est, tout est comblé. Il n'y a que les très grandes marées que ça passe par-dessus. Y a, y a 15 jours elle est passée par-dessus la marée. Ah oui, y en a eu une très grande. Et puis là dans 15 autres jours il y en a une grande là aussi.

M. TRIVIERE (ESTUARIUM) : Passer par dessus, c'est à dire ?

M. PICAUD : Ben les îles quoi, tout, tout ce qu'était l'ancienne Loire autrefois, qu'est devenu l'île Pipy, etc...
(...) Autrefois on faisait baigner les prés l'été. Ben à partir de maintenant là, au mois de juillet, après les foins, une fois les foins enlevés. On mettait des barrages et puis on menait l'eau jusqu'au barrage. C'était des madriers qu'on descendait, dans les coches et puis... ben personne n'en met plus. Personne ne veut plus de cette eau là.
(...) On envoyait la marée entière, alors bon, quand le barrage était mis, ça gonflait quand même, au lieu de courir à aller au fond, autrement, ben comme c'est plus bas là bas, à aller jusqu'au Brossais, partout où l'on est allé là, eh ben l'eau était arrêtée, alors ça gonflait, ça gonflait au moins de cette hauteur là, presqu'un mètre de plus. (...) Dans le fond y avait pas besoin, dans le fond ça allait tout seul (...) y avait pas besoin de barrage puisque c'était plus bas. (...) Comme ça, ça contentait tout le monde. Mais c'était des problèmes, y en a un qu'en voulait, l'autre qu'en voulait pas. (...) Ah, il y en avait des discussions à ce sujet là bien souvent! Ah tu veux de l'eau, moi j'en veux pas ! Et puis bon, mon foin est pas fini, le tien est fini...
(...) L'hiver à cette époque là, il fallait pas écouler. Si, on écoulait, mais fallait que l'écluse reste ouverte. Avant les années 40, l'écluse, tout l'hiver restait ouverte. Alors ça faisait ça, ça allait, ça venait, comme ça voulait. Pour hausser les prés. Oui, pour que ça faisait un dépôt. Et tous les prés qui sont en bordure, ils sont bien meilleurs que les autres hein, et c'est venu de là. Parce que ça faisait un dépôt de limon, comme ça a haussé ici quoi. (...) Et puis alors ça vasait tellement qu'on avait été obligé d'arrêter ça, parce que, ben l'étier, au pont qui tourne, la vase était à hauteur des prés, tellement il y en avait (...) Vous vous rendez compte, une épaisseur comme ça, il y avait deux mètres de vase (...) Ben nous, on l'a poussée avec la drague. On a été à être obligé de passer des herses là dedans. On avait fait faire une herse qu'avait des dents longues comme ça, avec des fers en U. Et puis, avec des chevaux à tirer sur le bord ! Et puis le courant, ça mettait, ça mettait la vase en suspension, et..., bon elle partait quoi. Et puis ça nous faisait un passage pour pouvoir passer le bateau après. Mais le bateau, c'était toujours pareil parce que, y avait pas assez de chute quoi, y avait, pour que ça marche bien là faut qu'y a un mètre de chute, parce qu'avec un mètre de différence, ça balaye quoi.