Les paysans mariniers
des terroirs réputés pour la production fourragère
et l'élevage
Exploités au moins depuis le Moyen Age, les prés-marais de Loire prennent
une grande valeur à partir du XVIIIe siècle.
L'armée, le grand centre urbain de la ville de Nantes constituent de gros
débouchés pour le fourrage à l'âge de la cavalerie et du transport hippomobile.
La forte augmentation, au siècle dernier, de la consommation de viande en
milieu urbain accroît encore la valeur foncière des îles et des marais du
sud-Loire. Anciens fermiers de l'abbaye, de gros opérateurs du marché de la
viande développent une activité d'herbagers qui mettent des troupeaux "à l'engrais"
sur les prairies aménagées pour un élevage intensif.
une spécificité des communautés riveraines des îles et des marais
Certains herbagers sont issus du milieu du cabotage assurant la desserte
locale et l'expédition des produits agricoles vers Nantes ou l'étranger. Le
foin est "pressé" au Migron depuis 1842 pour l'exportation par bateau, vers
l'Algérie notamment. Le village proche de la Roche doit son développement
au siècle dernier à ce trafic fluvial et maritime.
Dans cette économie agricole, la navigation est également importante pour
l'exploitation des îles et des marais alors inaccessibles ou impraticables
autrement qu'en bateau. Cette maîtrise de la navigation en Loire caractérise
d'ailleurs une communauté paysanne établie sur les "rives" qui partage avec
les herbagers le contrôle et l'exploitation de ces terroirs délicats.
Ces "paysans mariniers" pratiquent une petite polyculture élevage traditionnelle
: ils cultivent au pied du coteau, possèdent de la vigne, produisent du lait
et de la viande... Mais ils exploitent aussi le roseau, pêchent le poisson
et le sable en Loire et ils accèdent déjà aux marchés boucher et fourrager
animés surtout par les herbagers. Jusqu'au milieu du siècle, cette communauté
des "rives" se distingue des exploitants du bocage voisin, les paysans des
"terres", par sa relation aux îles, au marais et à la Loire, et par son ouverture
socio-économique et culturelle à un milieu estuarien, fluvial et maritime.
L'organisation hydraulique des marais du sud-Loire
Le "modèle estuarien"
Les
aménagements réalisés dans les marais sur la rive sud de l'estuaire de la
Loire mettent en oeuvre un système hydraulique caractéristique de l'estuaire,
organisant des échanges alternatifs entre les marais et le fleuve.
Le principe consiste à utiliser les variations du niveau d'eau du fleuve qui
subit ici l'influence de la marée. à marée basse l'hiver, on ouvre toutes
les vannes des douves, des canaux et des étiers afin que les eaux du marais
s'écoulent dans le fleuve. Au contraire l'été, on utilise la force de la marée
pour envoyer de l'eau douce sur les prairies. Comme un piston dans un cylindre,
le flot repousse dans les canaux d'irrigation les eaux du fleuve descendues
vers l'aval à marée basse.
Le travail des éclusiers est ici très délicat pour répartir équitablement
les marées entre les différents syndicats, puis, à l'intérieur de chaque marais,
pour "servir" tout le monde en eau en tenant compte des différences d'altitude
et d'éloignement des parcelles. Les plus fortes marées sont réservées aux
prairies les plus élevées, généralement situées en front de Loire, les terrains
les plus bas étant les plus éloignés de l'ancienne ligne de rivage.
Le patrimoine hydraulique
L'infrastructure
hydraulique des marais du sud-Loire comprend un vaste réseau d'étiers, de
canaux, de douves et de rigoles, et tout un ensemble d'écluses, de barrages
et de vannes, construits pour l'essentiel aux XVIIIe et XIXe siècles.
Les principaux ouvrages sont situés sur les grandes artères (l'étier de Vue,
le canal de Buzay et les canaux d'irrigation) et sur les canaux pénétrant
à l'intérieur des marais : le canal du Pavillon des prairies de Buzay, la
douve de l'île dans les marais de Vue, la douve de l'entrée de la prairie
de Tenu...
D'une plus grande variété, le petit patrimoine hydraulique comprend au moins
200 ouvrages, vannages, batardeaux, dalots et "pelles" édifiés sur des douves
privatives (1,50 m de large) pour commander l'alimentation d'une parcelle
ou d'un ensemble de parcelles (une "tenue").
L'agriculture de marais
Les exploitants des marais ont développé une connaissance fine de leurs prairies,
de la valeur fourragère de leur flore, composée d'une variété de trèfles et
de graminées (agrostis, cernure, dactyle). Soucieux des contraintes de portance
et du risque de défonçage des terrains résultant d'un pâturage mal contrôlé,
ils tiennent aussi compte de la topographie inégale des parcelles avant de
les "faire baigner".
Ils maîtrisent une pratique subtile de l'irrigation, assurant des rendements
fourragers, mais sans chercher à produire une herbe qui soit "trop flatteuse"
; on préfère généralement un gazon d'une herbe drue et serrée, mieux valorisée
par le bétail.
Depuis la "révolution verte" et le développement des productions fourragères,
de la culture du maïs et de l'ensilage, les prés-marais et les îles de Loire
n'ont toutefois plus l'exclusivité de la production de foin et de l'élevage
intensif. Le prix élevé du foncier et des fermages ont ajouté aux difficultés
des exploitants d'un terroir délicat ayant perdu leur avantage concurrentiel.
Aujourd'hui, ils s'orientent vers un élevage extensif et une production de
qualité.
L'agriculture de zones humides conserve entière sa vocation économique, mais
elle illustre aussi les nouvelles fonctions que la collectivité assigne au
"paysan" de préserver l'avenir de paysages et d'un environnement ici exceptionnels.
En échange d'un soutien financier les exploitants acceptent, en plus des contraintes
d'entretien habituel (curage et faucardage des douves, échardonnage...), de
modifier certaines de leurs pratiques (date et modalités de fauche...) dans
le souci d'entretenir un patrimoine commun.